トルコの非宗教、男女平等にについての歴史的経緯とイスラム・ヴェール問題


欧州人権裁判所判決 「Leyla Sahin 対トルコ」事件 2004年6月24日 より

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B. Historique et contexte

1. Le principe de laïcité et le port de tenues religieuses

27. La République turque s'est construite autour de la laïcité. Après la proclamation de la République le 29 octobre 1923, la séparation des sphères publique et religieuse fut obtenue par plusieurs réformes révolutionnaires : le 3 mars 1923, le califat fut aboli ; le 10 avril 1928, la disposition constitutionnelle selon laquelle l'islam était la religion d'Etat fut supprimée ; enfin, par une révision constitutionnelle intervenue le 5 février 1937, le principe de laïcité acquit valeur constitutionnelle (article 2 de la Constitution de 1924 et article 2 des Constitutions de 1961 et 1982 repris au paragraphe 26 ci-dessus).

28. Dans la construction républicaine, le statut accordé aux droits des femmes, qui confère à celles-ci l'égalité dans la jouissance des droits individuels, constitue l'élément principal. Tout d'abord, le 17 février 1926, fut adopté le code civil, qui prévoit l'égalité des sexes dans la jouissance des droits civiques, notamment dans le domaine du divorce et de la succession. Ensuite, par une révision constitutionnelle du 5 décembre 1934 (article 10 de la Constitution du 1924), les droits politiques des femmes furent reconnus au même titre que ceux des hommes.

29. A l'époque de l'empire ottoman, tant le pouvoir central que des groupements religieux imposaient aux individus le port d'une tenue spécifique en fonction de leur appartenance religieuse. Les réformes de la République portant sur la tenue vestimentaire s'inspiraient de l'évolution de la société au cours du XIXe siècle et visaient avant tout à créer un espace public libre où l'égalité était assurée à tous les citoyens sans distinction de religion ou de confession. La première disposition en la matière fut la loi no 671 du 28 novembre 1925 relative au port du chapeau, qui envisageait la tenue vestimentaire comme une question relative à la modernité. De même, le port d'un habit religieux, quelle que soit la religion ou la croyance concernée, fut interdit en dehors des lieux de culte et des cérémonies religieuses par la loi no 2596 du 3 décembre 1934 relative à la réglementation du port de certains vêtements.

30. Par ailleurs, en vertu de la loi no 430 adoptée le 3 mars 1924 portant sur la fusion des services d'éducation, les écoles religieuses furent fermées et toutes les écoles furent rattachées au ministère de l'Education. Cette loi fait partie des lois ayant valeur constitutionnelle, protégées par l'article 174 de la Constitution turque.

31. En Turquie, le port du foulard islamique à l'école et à l'université est un phénomène récent, qui s'est manifesté à partir des années 1980. Le sujet est largement débattu et continue à être l'objet de vifs débats dans la société turque. Pour les partisans du foulard islamique, il s'agit d'une obligation et/ou manifestation liées à l'identité religieuse, alors que, pour les autres, il est devenu un symbole de l'islam politique qui vise à instaurer un régime fondé sur les règles religieuses et qui menace la paix civile et les droits des femmes acquis au cours de la construction républicaine. Notamment, l'arrivée au pouvoir le 28 juin 1996 d'un gouvernement de coalition constitué par le Refah Partisi, de tendance islamiste, et le Dogru Yol Partisi, de tendance centre droit, a donné un aspect particulièrement politique à ce débat. L'ambiguïté de l'attachement aux valeurs démocratiques qui ressort des prises de position des dirigeants du Refah Partisi, y compris de celle du premier ministre de l'époque issu de ce parti, et des discours de ces dirigeants prônant un système multi-juridique fonctionnant selon des règles religieuses différentes pour chaque communauté religieuse, fut perçue dans la société comme une menace réelle contre les valeurs républicaines et la paix civile (voir aussi Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98, 42342/98, 41343/98 et 41344/98, CEDH 2003-II).

32. A cet égard, il importe de souligner que dans deux arrêts rendus par la Cour constitutionnelle concernant la dissolution des partis politiques (arrêts du 9 janvier 1998 concernant la dissolution du Refah Partisi et du 22 juin 2001 concernant la dissolution du Fazilet Partisi), celle-ci a notamment eu égard à l'utilisation des symboles religieux à des fins politiques. Elle considéra que les prises de position des dirigeants de ces partis quant, entre autres, à la question du port du foulard islamique dans le secteur public et/ou dans les écoles révélaient l'intention de ceux-ci d'instaurer un régime fondé sur la charia.